• J'ai toujours aimé les arbres. Ils nous ressemblent.

    Si je tends l'oreille, j'ai l'impression d'entendre les pas furtifs et empressés des infirmières, des médecins et des techniciens, dans les corridors de l'hôpital. Je peux imaginer les pieds, d'après les pas. Larges, petits, délicats, crochus. Surmontés de lourdes jambes pleines de varices, ou de longues jambes poilues.

    Mais je préfère prendre les pas pour ce qu'ils sont: des pas. J'écoute leur musique, comme les frottis des balais sur les cymbales, le toc régulier de blocs de bois, puis tout à coup la grosse caisse qui vient briser momentanément la douce harmonie du mouvement.

    Grimpée dans un chêne, dissimulée par les feuilles des arbres, je restais souvent longtemps sans bouger à écouter le vie autour.

    Il y avait une femme dans les toilettes, avant que tout commence. Elle est venue me parler. Cette femme, je ne la connais pas mais elle ne me dit rien de bon.

    C'est toujours aussi blanc ici.

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  • J'entends la voix du docteur me faire la lecture. Elle devient de plus en plus comme un bourdonnement dans mes oreilles.

    Je trouve étrange de devoir lutter pour revenir à la vie, pour reprendre pied, pour retrouver ce que je suis. Étrange d'y mettre toute mon énergie et de savoir que, pas si loin d'ici, des milliers d'être humains sont submergés, déracinés, désorientés, qu'ils sont en quête d'une maison, comme moi, d'une mémoire... Et que je ne les connais pas, ne peux pas les atteindre, ne peux rien faire pour eux, suis aussi étrangère à eux que liée à eux par le combat.

    Savoir sans pouvoir. Je crois que c'est ce que je trouve de plus diificile tout à coup. Ne plus faire partie du monde. Être obligée de tourner tous mes efforts vers ma seule existence.


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  • J'ai douze ans. Je viens de l'écrire dans mon cahier. Assise dans l'herbe sous un arbre, je vois le fleuve en bas. Personne autour de moi. J'aime ces moments de calme. Je déterre ma pierre blanche, ma pierre magique. Je l'ai baptisée Vodka. Elle est toute plate d'un côté et je m'amuse à voir l'avenir dedans. Je la frotte deux ou trois fois, faisant un cercle avec mon doigt, puis je lui pose une question et elle me répond. Chaque fois, elle me donne une réponse différente. Selon mes humeurs.

    Si je pouvais bouger, je pourrais frotter le mur blanc en face, comme dans mon souvenir. Comme quand j'étais petite.

    En ce moment, je m'imagine plonger dans le fleuve pour me laver de tout ce qui ne me sert à rien, et en ressortir toute neuve, rafraîchie, purifiée, reposée. Le varech et les grains de sable éliminés.

    L'infirmière qui s'appelle Martha a passé beaucoup de temps avec moi, ce matin. Elle m'a raconté des histoires de son enfance. C'était joli, et j'avais l'impression d'y être. Elle a joué à l'esthéticienne et m'a dit qu'elle me peignait les ongles en rouge, pour que je me sente belle quand je vais me réveiller. Moi, ça me va, mais j'espère qu'elle a eu la permission pour faire ça. Je ne voudrais pas qu'elle se fasse réprimander à cause de moi.

    Cloé doit avoir raison. J'ai voulu prendre un téléphone dans mon sac. Pour appeler qui? J'ai dû rencontrer un homme sur le chemin des vacances et, pour une raison qui m'est inconnue, ça a mal tourné... Mais je suis fatiguée, je n'ai pas envie de penser à ça maintenant.



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  • Oh la la! Que d'informations! Ça tourne dans ma tête...

    Cet homme... cet homme... est-ce que c'était le même qu'au restaurant? Je n'en suis pas sûre. Est-ce que je suis venue avec lui en vacances? Il m'aurait volé? Pourquoi voulait-il mes papiers?

    Le Québec? C'est possible. Je connais bien en tout cas. Mais je n'ai pas de souvenir précis.

    Et comment je me suis retrouvée ici?!

    Peut-être que je me trompe. Que je mélange tout. Je me souviens bien d'un restaurant, d'où je suis partie en furie et bouleversée. Mais c'était peut-être il y a longtemps.

    On dirait que j'ai peur de me rappeler. Mais au fond, c'est peut-être simplement le fait de ne pas savoir... c'est peut-être simplement ça qui fait peur...

    Cet homme... il m'a peut-être fait du bien.

    Le pire, c'est que... je me sens toute nue en pensant qu'on ait pu me voler, ou que je serais partie sans rien. Non. J'ai dû mettre mes papiers dans la boîte à gants. Ou dans mon sac à l'arrière tout simp... Oh... je me suis penchée. Quand je l'ai aperçu, j'ai voulu prendre quelque chose à l'arrière. Dans mon sac, sans doute. Un mauvais réflexe.

    Je ne me souviens pas avoir jamais utilisé une arme dans ma vie. Ça ne devait pas être ça.

    C'était qui? C'était qui, ce gars-là? Ça commence à m'obséder.

    J'espère que j'ai pas fait la connerie de me retrouver dans une banale histoire de triangle amoureux.


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  • La route me paraît longue pour retourner jusque chez-moi...

    Est-ce que j'avais des bagages? Sac, valises, portefeuille? Ils n'ont rien trouvé sur moi. Mais ça a peut-être coulé au plus profond avec la voiture.

    Il y a quelqu'un qui s'avance vers moi mais je ne vois pas son visage... Comment savoir si je ne l'ai pas inventé... Je ne sais plus.

    Mais il s'avance. Il se ré-avance. Il se ré-avance. Il ne fait jamais assez clair pour que je vois son visage. Pas plus que la personne qui est assise en face de moi. Une autre personne. Je ne suis pas seule à table.

    Pourquoi je conduisais cette voiture? Toute seule et si loin de chez-moi apparemment? Je n'aime même pas conduire de toute façon.

    Il n'y a rien à côté de moi. Sur le siège avant. Je ne vois pas de sac.

    J'entends... Non... Non, je n'entends rien de spécial. Rien de distinct. Que des bruits d'assiettes, de coutellerie, une rumeur de gens qui parlent. Je crois que le restaurant était plein.

    Pour l'instant, je ne vois aucun sac.


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